Au fond de l’appartement, dans un angle tranquille, Violette a accroché au mur une photographie de sa mère, prise sur la Place Saint Marc, à Venise.
L’image date de dix ans avant sa naissance. La jeune femme est entourée de pigeons dont plusieurs sont posés sur ses mains. Elle porte un bandeau blanc dans les cheveux, et le vent soulève à la verticale une de ses mèches bouclées.
Violette se souvient en souriant que c’est l’instantané qui scandalisa la grand-mère, autrefois.
Comment pouvait-on se faire photographier sans être coiffée ?
Aujourd’hui, ce n’est plus une photographie, c’est la vie même.
Tout d’abord, il y a ces pigeons dont on croirait entendre vibrer les ailes. Et surtout, il y a cet éblouissant sourire, dans le coup de vent…
Un jour, à quelques semaines de sa mort, Suzanne a perdu une dent. Quand Violette a envisagé de prendre un rendez-vous pour la lui faire remplacer, la très vieille dame, que cela ne gênait guère au quotidien, a répondu avec nostalgie :
« Oh, tu sais, mon sourire n’en a plus pour longtemps. »
Deux fois dans l’année, un rayon de soleil tardif oblique jusqu’à cet angle de l’appartement. C’est en mars et en septembre. Et il illumine brusquement le sourire de la jeune femme qui nourrit les pigeons de Venise.
Violette voit alors la mèche de cheveux s’élever au-dessus du bandeau blanc, et elle entend le frémissement des oiseaux. Chaque belle soirée de printemps ou d’automne, Violette guette cet instant.
Et elle ne manque pas d’aller rendre son sourire à sa mère.