Voici deux autres personnages… Justine et Caroline.
La maison familiale est un vrai mas provençal, fait de grosses pierres sous un toit de tuiles, et deux oliviers noueux encadrent la cour où la table de jardin, sous le parasol assorti au bleu des volets, attend
le prochain repas. Les deux femmes décrochent des chapeaux de soleil, car il fait encore très chaud, en
cette fin d’après-midi, aux abords du champ de lavande.
Sur le pas de la porte, s’élève le chant des cigales, comme pour une invitation à la promenade.
Caroline aime se ressourcer dans cette maison, où tout lui rappelle les joies de l’enfance et la douceur de vivre. Justine et ses frères s’y croisent l’été, conscients de leur chance, surtout depuis qu’une piscine a été discrètement creusée à l’écart, en contrebas de la terrasse, sans dénaturer la cour fleurie et largement offerte au repos. Ce sont des journées partagées entre la lecture, les jeux de société, et les
éclats de rire associés aux plongeons.
Depuis son divorce, Justine a cependant une réticence à s’y rendre. Elle se sent l’objet d’une attention
particulière, d’une inquiétude et d’une commisération qui l’agacent.
Dans le passé, mère et fille ont souvent été en été en conflit, et depuis son divorce, Justine donne encore
des inquiétudes à sa mère. Mais la révolution de ce début d’été, avec le départ du père, a changé les relations des deux femmes, les mettant sur un plan d’égalité. Et toutes deux ont décidé de faire front ensemble contre leur mauvaise fortune.
Cet après-midi-là, quelques brumes voilent l’horizon derrière les collines, mais le ciel est bleu au-dessus de leurs têtes. Les petits courent sur le chemin qui borde le champ de lavande, animé d’un bourdonnement incessant d’abeilles travailleuses.
Un homme qui promène son chien salue les deux femmes au passage. Puis il se retourne, les mains croisées dans le dos :
— Votre mari va bien ? Je ne l’ai pas encore vu, cette année !
Eh oui ! Voici la parole inévitable, celle qui se renouvelle au village, de boutique en boutique. Celle de tous les gens installés dans leur commerce depuis des décennies, et qui ne connaissent pas les séparations, parce que les affaires soudent les couples.
— Bien, merci, répond invariablement Caroline, coupant court aux commérages. Et son sourire, au milieu des rides, découvre de jolies dents, tandis qu’elle agite les fameuses boucles de la Pentecôte, qui tombent maintenant, toutes défaites, sur ses épaules.
— Tu devrais te faire couper les cheveux, et recommencer ta couleur, lui a conseillé Justine.
Mais Caroline résiste : il n’est pas question qu’elle alimente la conversation permanente du salon de coiffure.
— D’ailleurs, ce qu’ils me font ici ne tient pas, a-t-elle déclaré.
Le promeneur, qui n’a que cela à faire, reste immobile à les regarder. II ne veut pas rentrer chez lui bredouille. Mais Justine et sa mère abrègent la rencontre en rappelant les enfants qui courent au loin sur le chemin.
— Revenez près de nous, n’allez pas vous faire piquer par une abeille ! leur crie Caroline.
Justine lui lance un regard complice :
— Cela va être comme ça tout l’été, avec les gens. Ils n’ont sans doute rien d’autre à se mettre sous la
dent.
— Et il n’y a rien de plus intéressant que le malheur des autres, ajoute Caroline avec un toussotement ironique.
Depuis qu’elle est arrivée, Justine s’étonne. Sa mère va bien. Elle-même a eu bien plus de peine à se remettre de son divorce. Mais Caroline est une mère avant tout. Et elle vit dans l’urgence des choses concrètes. Elle débroussaille, elle nettoie. Elle ne se laisse pas noyer par de grandes vagues de chagrin.