Hélène Bruntz

Bucarest, 2004
 

C’est un piano ancien. Muet, abandonné. Orphelin.

Seul dans la pièce vide d’un grand appartement, il paraît attendre vainement un interprète qui ne viendra plus.

C’est un véritable piano de concert, mais qui ne ressemble pas à ceux, laqués noirs, que l’on voit sur les scènes modernes. Un instrument magnifique, sculpté, avec son bois de palissandre aux reflets dorés, veiné, et ses moulures. Un piano à queue, majestueux, qui semble privé de son droit d’expression.

S’il pouvait retrouver sa voix, peut-être chanterait-il la douleur du deuil.

Il y a un an, des doigts très âgés, noueux, hésitant parfois à se poser sur l’ivoire jauni des touches, s’y promenaient encore.

Des doigts désormais raides, eux qui m’avaient autrefois enseigné la souplesse.

Aujourd’hui, je sais que ce sont des brindilles tordues, immobiles dans une tombe. Le sort final des mains humaines, même les plus créatives. Et des larmes me viennent aux yeux.

J’ai toujours imaginé que mon professeur était vieux. Et pourtant, si je calcule, quand je l’ai connu à l’âge de six ans, il n’en avait guère plus de quarante. Bien des années ont passé.

Et je suis là, seule, devant son piano perdu.

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