Hélène Bruntz

[...]

La grossesse se poursuivit. Mais Clémence n’aimait plus son corps déformé, et elle redoutait de plus en plus cet être étranger qu’elle sentait bouger en elle. Désarçonné, Thomas la rassurait tant bien que mal : « Je m’en occuperai, tu verras. »

« Cela m’est égal, je ne veux pas de cet enfant. », disait-elle.

Et Thomas commençait à percevoir l’impossibilité d’une vie à trois, avec l’arrivée d’un être si fragile, qu’il devrait, pour aller travailler, laisser toute la journée aux mains d’une mère instable.

Clémence accoucha de David. L’enfant allait bien, mais la jeune mère refusait de le prendre dans ses bras, et elle détournait la tête pour ne pas le voir. Elle ne voulait pas s’attacher à lui, par crainte de l’étouffer. Elle eut des crises violentes. Et cette fois, elle fut internée pour une durée indéterminée.

Thomas dut apprendre à se pencher avec tendresse sur le nourrisson, à le soigner, à lui donner le biberon, à lui dire doublement : « Mon fils », comme s’il était à la fois son père et sa mère. Il le prenait dans ses grandes mains toutes chaudes, les arrondissant pour le contenir tout entier, lové comme dans  un ventre maternel. Tout à coup, il était comblé par un sentiment de puissance et d’amour.

Clémence, à cette époque, était dure et hostile. Elle repoussait Thomas quand il venait la voir à l’hôpital. Les médecins lui disaient de patienter, que le traitement ferait bientôt de l’effet. Il en faisait tellement qu’elle n’ouvrait les yeux qu’à moitié, la pupille à demi révulsée.

Thomas se consacrait à cet être dont la vie dépendait entièrement de lui. Envahi par cette tendresse que l’enfant absorbait comme un aliment nécessaire, il se détacha peu à peu de Clémence. L’amour qu’il avait ressenti pour elle l’avait conduit à cet enfant. Et il le lui offrait sans partage.

C’est à peu près à cette époque que, devenu père, il devint aussi romancier. Il écrivit l’histoire de cette femme qu’il avait aimée, ou cru aimer, mais dont la maladie le détournait.

Et là, il exagéra, il inventa… C’était, cette fois, pire que la réalité.

[...]

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